Ce mercredi, nous célébrons l’anniversaire de Mai 75. Ce que d’aucuns appellent la « révolte estudiantine ». L’année dernière, le 20 mai, Michael Jean Louis et moi, nous avions présenté une édition spéciale de Zoom sur l’Info sur TOP FM RADIO, consacrée à cet évènement. En voici quelques faits et commentaires…

Des dizaines de milliers de collégiens, mais aussi de nombreux étudiants de l’Université de Maurice et du Teachers training college, sont descendus dans la rue pendant plusieurs jours, au mois de mai, pour protester contre le système d’education inégalitaire et payant, qui excluait de ce fait, beaucoup d’enfants mauriciens. Mai 75, grèves et manifestations, aura d’importantes répercussions, et sera l’un des catalyseurs du grand changement politique et social intervenu sept ans plus tard…

D’abord, le contexte

Nous sommes en 1975. Notre pays, indépendant depuis sept ans, est dirigé par un gouvernement de coalition Parti travailliste/CAM/transfuges. En face, une opposition parlementaire composée du PMSD (au gouvernement de 1969 à 1973), de l’IFB et de l’UDM ; et surtout une opposition extra-parlementaire, de plus en plus populaire, le MMM. {En 1970, le gouvernement PTR/PMSD/CAM renvoie les élections générales après une défaite face au MMM dans la circonscription numéro 5 ; abolit les élections partielles et municipales, et interdit les rassemblements publics].

En 1974, les syndicats viennent tout juste de retrouver leur liberté, après la suspension et l’interdiction instaurées en 1971. En partie seulement, parce que gouvernement a introduit (en 1973), une loi du travail répressive, l’IRA. La censure de presse et l’état d ’urgence sont encore en vigueur Tout comme la POA.

Le taux de chômage est en hausse ; la pauvreté aussi…Pour beaucoup de jeunes, l’avenir parait très sombre. Au niveau de l’éducation, c’est un système inégalitaire ; l’école secondaire est payante… Et de ce fait, beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’éducation secondaire. Surtout les-filles. On compte alors quatre collèges d’Etat ; et quelques « bons collèges » confessionnels et privés. Sinon, la plupart des établissements privés font face à des difficultés récurrentes. Notamment manque d’enseignants, salles de classe inadéquates, bâtiments délabrés, manque de facilités, alors que les managers prennent souvent des mesures disciplinaires autoritaires et injustes ; pour beaucoup de parents, les frais sont exorbitants… [Ces collèges ont cependant joué un rôle important, en ouvrant leurs portes à des milliers d’enfants de familles modestes. Mais dans ces écoles privées payantes, le taux de drop outs est élevé. Les parents éprouvent des difficultés, ou font de gros sacrifices, pour payer les frais de scolarité et de transport ; l’achat d’uniformes, de livres et autres matériels scolaires, tout en trouvant l’argent de poche de leurs enfants}.

Bref, une situation explosive, intenable, pour des milliers d’élevés du secondaire.

Prise de conscience

Mais il faut savoir que depuis 1973, plus particulièrement, les jeunes commencent à prendre conscience de la situation, surtout grâce au travail des organisations estudiantines sur le terrain. Certaines sont proches du MMM ou du MMMSP ; d’autres gardent une certaine neutralité face à ces deux partis de gauche.

Comme nous l’avons dit, dans chaque collège, privé ou public, élèves et enseignants ont leurs propres problèmes, en plus des revendications contre le système au niveau national.
Tout commence pratiquement le lundi 5 mai. Les élèves du collège Bhujoharry descendent dans la rue, à proximité de leur école, rue St Georges, Port-Louis, pour protester contre le paiement d’un frais annuel pour les activités sportives.
Seulement quelques policiers sont présents sur les lieux. La manifestation se déroule sans aucun dérapage. Mais l’évènement fera la une de la presse. « Il s’agit d’une protestation spontanée, mais en fait, un signe extérieur d’un malaise plus profond qui rongeait notre système éducatif depuis plusieurs années”, affirment des observateurs. Une semaine plus tard, la colère monte dans d’autres collèges, contre pratiquement les mêmes types de problèmes. {Queen Elizabeth, Royal College de Curepipe et de Port-Louis, John Kennedy, Eden, London}.

Sur le Pont de la GRNO

Rapidement, la protestation et l’exaspération débouchent sur la grève dans la plupart des collèges… Les élèves protestent désormais ouvertement, à la fois contre les manquements de leur collège et le système en général. Mais tout se passe dans l’ordre ; on n’enregistre en fait aucun affrontement avec la police ; aucun dérapage, ni à Rose-Hill, ni à Port Louis.

Le ministre de l’Education, Régis Chaperon, intervient publiquement pour promettre des changements, mais sa promesse-n’arrête pas le mouvement de protestation. Et par la suite, des organisations estudiantines décident d’organiser un grand rassemblement au Champs de mars, le 20 mai.

Ce jour-là, plusieurs milliers de collégiens et d‘étudiants se dirigent vers Port-Louis pour participer à ce rassemblement. Parmi, beaucoup de filles ; également des jeunes de 11 et 12 ans, encore en Forme Une. Mais la police bloque la route, à l’entrée sud de la capitale, près du pont de la Grande Rivière Nord Ouest, l’ancien pont…

La nouvelle circule rapidement. Et les élèves qui sont déjà dans la capitale, décident alors d’aller rejoindre leurs camarades venant des Plaines Wilhems et du Sud. Le ministre de l’Education et le conseiller en sécurité, le Britannique Rewcastle, sont présents sur le Pont en compagnie de la SSU pour essayer de « dialoguer » avec les manifestants-grévistes.
La situation se détériore rapidement, et la police a recours au gaz lacrymogène et à la matraque pour disperser les manifestants. La fameuse photo montrant un policier en train de donner des coups de pied à un enfant à terre, est censurée, et c’est bien plus tard que le quotidien Le Mauricien publiera cette image…

Plus tard dans l’après-midi du 20, à Rose-Hill, il y a des dérapages; des collégiens saccagent un autobus; la Riot Unit intervient avec du gaz lacrymogène. Le lendemain, 21 mai, sera marqué par d’autres affrontements avec la police, à Rose Hill d’abord, et à Port-Louis ensuite Il faut préciser qui le 21 mai, selon Le Mauricien, la grande majorité des élèves sont à la maison; les l’écoles sont fermées. Certains jeunes cependant, un millier selon la presse, persistent et continuent à manifester.
Ils s’en prennent aux autobus ; saccagent des magasins,notamment rues Desforges et Leoville L’Homme, à Port-Louis Parmi les manifestants, se trouvent des adultes, toujours selon Le Mauricien. Finalement, après une nuit d’émeutes jeudi, c’est le retour au calme le lendemain, vendredi. Bilan selon les statistiques officielles : 118 arrestations, 40 autobus saccagés dont quatre incendiés.

Le lundi suivant, c’est le retour à la normale dans presque toutes les écoles. Sir Seewoosagur Ramgoolam, Premier ministre, intervient finalement à la télévision pour demander aux jeunes encore un peu de patience … Le gouvernement accepte le principe de l’éducation gratuite, ce qui deviendra effectivement une réalité en janvier 1977 ; SSR annonce aussi le droit de vote à 18 ans qui sera en vigueur à partir des élections législatives du 20 décembre 1976.

Sur le plan politique

Sir Gaëtan Duval, alors Leader de l’Opposition parlementaire, profite des événements pour réclamer des élections générales, seul moyen selon lui, d’en finir avec le désordre et barrer la route à ce qu’il appelle l’extrême -gauche. Il faut souligner toutefois qu’à aucun moment, Sir Gaëtan n’accuse le MMM d’être derrière la révolte estudiantine. Contrairement à ce que le gouvernement veut faire croire.

Il ne faut pas oublier, cependant, que1975 est aussi l’année de la montée en puissance du MMM, tandis que l’aile jeune du parti est très active en milieu estudiantin depuis 1973.
Selon beaucoup d’observateurs et d’historiens, y compris le journal Le Mauricien, le mouvement de contestation lancé par les collégiens et soutenu par des étudiants de l’Université de Maurice, deviendra « le vivier d’un renouveau politique. Ainsi, une nouvelle génération de jeunes Mauriciens, formant la base de la gauche militante, portera le MMM au pouvoir quelques années plus tard, en 1982 ».Certains d’entre eux seront d’ailleurs candidats aux législatives du 20 décembre 1976, sous la bannière des partis de gauche, principalement du MMM, qui présentent 60 candidats à Maurice, Résultats : MMM 30 sièges ; PTR/CAM 25 et PMSD 7. Après la répartition des 8 best loser seats, et la formation d’une coalition, la configuration sera comme suit : PTR/PMSD/ CAM 36 sièges ; MMM 34. Mais c’est une autre histoire, n’est-ce pas ?

Les principales revendications de Mai 75

Education gratuite ; nationalisation des collèges privés ; plus d’égalité entre les écoles secondaires ; une meilleure structure de formation pour les enseignants ; décolonisation de l’éducation : c’est-à-dire, « mauritianiser » les textes et manuels scolaires, valoriser la langue kreol mauricienne dans le système éducatif ; et enseigner l’Histoire de Maurice.

Les « enfants » de Mai 75 revendiquaient aussi le droit de vote à 18 ans ; se battaient également pour le mauritianisme, l’égalité homme/femme et la méritocratie. Et pour l’édification d’une société plus démocratique.

Et bien sûr, la réforme du système d’éducation. Pour une Education qui répond aux besoins du pays et de son développement…Mais qui favorise aussi l’épanouissement des jeunes…

Habib MOSAHEB

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